Dans mon dernier article «Leçon d’un jeune gestionnaire», j’ai parlé des jeux de pouvoir et de la carte politique de l’organisation. J’aimerais ici développer sur ce concept. Je dois tout d’abord remercier mon ancienne collègue, Joanne Doucet, de m’avoir présenté cet outil. Dans un emploi antérieur, au moment où l’entreprise vivait une situation ponctuelle de conflit, nous avons fait l’exercice de dresser la carte politique de notre organisation. Cet exercice a été amusant et fort instructif.
On pourrait penser que les relations de pouvoir entre les individus au sein d’une organisation reflètent son organigramme et que les directives suivent un canal précis du haut vers le bas. La réalité en est tout autre puisque l’organigramme ne représente que le pouvoir formel, donc la pointe de l’iceberg.
Derrière le décor, il y a tout un pan de l’organisation qui est constitué des relations informelles et dans ce monde, des relations de pouvoir et d’influence se constituent avec des conflits et des alliances.
Les sources de pouvoir informel
Plusieurs caractéristiques amènent un individu à détenir un pouvoir informel au sein d’une organisation. Tout d’abord, il y a l’attitude et le leadership propre de la personne. Il y a des gens qui arrivent dans un groupe et qui dégagent quelque chose qui fait en sorte qu’on les écoute et qu’on veuille les suivre. Il y en a d’autres qui sèment la pagaille partout où ils passent. Ces gens sont à identifier car ils auront nécessairement une influence sur la motivation des troupes et en bout de ligne sur l’atteinte de vos objectifs.
Le fait de détenir de l’information privilégiée confère également un certain pouvoir. Par exemple, la personne qui fait la réception, quoique placée tout en bas de l’organigramme, a l’avantage d’être au cœur de toutes les communications de l’organisation. Elle peut conserver ou transmettre cette information, elle peut la déformer ou l’utiliser à son avantage.
Détenir une expertise dans un domaine est tout aussi avantageux. L’expert influence les décisions de la direction et en même temps acquiert une certaine crédibilité auprès de ses collègues. On le prend davantage au sérieux dans les réunions, même parfois dans des champs hors de son domaine d’expertise.
La capacité d’aider ou de nuire aux autres est aussi un levier de pouvoir. Par exemple, la personne responsable de l’informatique est la seule à pouvoir vous dépanner dans certaines circonstances. Si elle le désire, elle peut décider de vous aider ou non ou du moins vous faire attendre. Alors, soyez toujours gentil avec le responsable informatique.
L’ancienneté est aussi à considérer en matière de pouvoir, non seulement parce qu’elle vient avec plus d’information et d’expertise, mais aussi parce qu’elle confère une certaine légitimité. Vous avez sûrement entendu des phrases comme : « ça fait 20 ans que je travaille ici, on ne va pas me montrer mon métier » ou encore » quand tu auras 20 ans d’expérience comme moi, tu penseras autrement ». Quoi répondre après avoir entendu ça? Il y a les vieux grognons qui ne veulent rien changer, mais il y a aussi les sages qui nous guident et qui sont la mémoire de l’organisation.
Il y a aussi les liens personnels qui se développent entre les individus. Certains ont des affinités car ils partagent des passions communes, vont manger ensemble ou sont cousins de la fesse gauche. Les idées de certaines personnes auront une influence sur les idées d’autres personnes. Donc pour convaincre une, il faudra convaincre l’autre. Aussi, si vous êtes proche du patron, vous aurez plus de chance de l’influencer et même si ce n’est pas le cas, les gens vous percevront ainsi et vous conféreront un certain pouvoir.
Pas besoin de faire une liste exhaustive de toutes les caractéristiques qui confèrent un pouvoir pour comprendre comment s’exercent les jeux d’influence. Tout le monde doit avoir reconnu au moins en partie l’organisation où il travaille dans les exemples cités plus haut.Car je le répète, les jeux de pouvoir existent dans toutes les organisations, même les plus petites. Nous n’avons besoin que de deux personnes pour créer un conflit et de trois pour susciter des alliances.
L’humain est un être social et politique, nous ne pouvons éviter ces situations et comme gestionnaire nous ne pouvons les ignorer.
Certains affirment que les relations informelles remplacent les vides laissés par les relations formelles. Et comme le formel ne peut pas tout remplir, il y a toujours de l’informel. Selon cette logique, plus il y a d’ambiguïtés dans les rôles et les consignes, plus les relations informelles auront une influence. À l’opposé, plus les rôles et tâches sont codifiées, moins les relations informelles auront d’effet sur le travail. Sachez dans quel type d’organisation vous vous trouvez.
Première étape : l’observation
Maintenant, comment fait-on pour dresser la carte politique de notre organisation? La première étape est l’observation des dynamiques entre les personnes. Qu’est-ce qu’on doit observer? En fait, tout :
- Qui vont manger ou prennent leurs pauses ensemble.
- Qui parlent dans les réunions, qui écoute-on? Ont-ils des discours négatifs ou positifs?
- Qui vont dans les activités sociales, qui les organisent, qui les boudent?
- Y a t-il des conflits entre certains membres de l’organisation? Sont-ils ouverts ou cachés? Y a t-il une personne qui est le dénominateur commun de la plupart des conflits?
- Y a-t-il des personnes qui ne respectent pas les consignes, qui défient volontairement l’autorité?
- Qui démontrent une grande ambition personnelle?
- Y a t-il des groupes informels bien définis? Les membres ont-ils des objectifs communs?
- Quels sont les principaux canaux de communication? Est-ce que les nouvelles arrivent sur le plancher avant que le canal officiel les ait rapportées? À quel point la nouvelle est-elle déformée? Quel est le délai entre l’arrivée de l’information officieuse et celle officielle?
Une fois que l’observation sera faite, il ne vous restera qu’à schématiser toutes les relations de l’organisation pour dresser un portrait global. Je vous expliquerai comment dans mon prochain article.
Jérôme Guy, BAA, MBA
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Photo à la une : Pointer vers l’horizon, Taiwan, prise par Fu-yen Chang, 2015.
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